Denis Caraire, Directeur de l’impact social de Villes Vivantes
Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’urbanisme, et en particulier dans l’urbanisme engagé en faveur de l’habitat ?
Faire de l’urbanisme, c’est essayer d’organiser la réalité pour rendre service aux autres, en faisant en sorte que chacun puisse trouver, accéder à ce dont il a besoin.
Pourquoi l’habitat en particulier ?
D’abord parce qu’il répond à un besoin essentiel : on a tous besoin d’habiter quelque part pour créer et y établir son foyer. Travailler sur le logement, c’est nécessairement servir le plus grand nombre, et n’oublier personne.
Voilà pour l’aspect rationnel de mon engagement. Mais au fond, le moteur de mon action vient de plus loin : il émane autant de l’amour que je porte aux villes, à nos villages, que de la révolte inspirée par les conditions précaires de logement dans lesquelles j’ai trouvé certains habitants. Je suis urbaniste pour m’occuper des villes et pour m’occuper de leurs habitants ; pas pour créer des villes et y mettre des gens dedans.
Pourquoi avoir privilégié l’amélioration des tissus urbains existants plutôt que la création de nouveaux projets ?
J'ai commencé, jeune, par mettre mon énergie au service de la lutte contre l'habitat indigne et insalubre. Ce fut très dur, mais cela m'a ouvert les yeux. Puis j’ai compris qu’en matière d’habitat, au sein de la ville existante, tout se tient. Le neuf et l’ancien, le social et l’abordable, la location et l’accession.
Cet engagement en faveur des quartiers déjà construits et habités permet de faire d’une pierre deux coups : en aidant les habitants à améliorer les conditions de leur logement actuel, on sert l’intérêt public deux fois, puisque cela diminue aussi la pression sur le besoin de nouveaux logements. On fait grandir et progresser la ville existante, sans repartir d’une page blanche à chaque fois, en alliant le neuf et le rénove à l’ancien.
Si j’ai choisi l’urbanisme, c’est pour faire partie d’un processus qui fait advenir du mieux - pour prendre soin des villes plus que pour les dessiner.
Quels leviers voyez-vous pour endiguer la crise actuelle du logement ?
On a besoin de loger les Français, c’est un fait. On le voit partout autour de nous : nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à se loger, et les prix ne cessent de s'envoler dans les territoires tendus notamment. On a parfois l'impression que les pouvoirs publics préfèrent se cacher les yeux, pourtant ne pas regarder un problème ne l’a jamais fait disparaître.
Ces personnes qui ne trouvent pas de logement, où vont-elles ? Elles ne disparaissent pas par magie, elles cherchent plus loin, parfois beaucoup plus loin que là où elles auraient eu le besoin ou le plaisir de s’implanter. Leurs conditions de vie s’en trouvent dégradées, leur temps de transport allongé, et l’impact sur l’environnement largement détérioré. Mais je pense aussi que l'ère des grands projets d'urbanisme est dépassée et qu'il nous faut aujourd’hui inventer autre chose pour mieux répondre à la demande réelle d’habitat telle qu’elle est exprimée par les français : ne devrions-nous pas travailler à construire plus de maisons, plus abordables, mieux situées, sans étalement urbain ?
Je l'ai vu tout du long de ma carrière, il y a mille façons de produire du logement : en construisant des logements neufs, en réoccupant le parc de logements vacants, en transformant les logements existants. Le défi consiste à produire ces logements sans empiéter sur les espaces naturels et les terres agricoles, sans artificialiser de nouvelles terres, et à des coûts qui sont compatibles avec le budget des ménages - ce défi est réalisable si l’on s’en donne les moyens !
Pour y parvenir, l’un des leviers les plus puissants consiste à s’appuyer sur l’énergie et la volonté (intarissables !) des habitants, qui sont nombreux, très nombreux à avoir des projets susceptibles de créer, ou d’améliorer, des logements. Notre rôle consiste à les accompagner dans ces projets, à concevoir, à ouvrir de nouvelles options, puis à les guider à travers les méandres juridiques, financiers, administratifs afin de faire aboutir ce à quoi ils aspirent.
Quels obstacles devront être dépassés, dans les années à venir, pour que chaque Français soit bien logé ?
Je vois deux types d’obstacles : le premier est d’ordre réglementaire. Les règlements d’urbanisme sont faits pour l’urbanisation nouvelle, ils ne concernent pas assez les quartiers existants, qu’il faudrait pouvoir gérer comme des quartiers où l’on peut créer des droits à bâtir. Le deuxième obstacle est le modèle économique lié à la production neuve de logements abordables. Il faut mobiliser tous les moyens pour produire des logements abordables, en location ou en accession, que les Français puissent se payer. Or, le modèle le plus abordable c’est l’individuel en filière courte, à maîtrise d’ouvrage habitante, c’est-à-dire en auto-promotion, que l’on doit donc accompagner. Le plus important est de se doter d’une politique globale de construction dans les secteurs tendus. Faute de quoi on se retrouve, comme la situation actuelle le montre, sans que grand monde ne s’en émeuve, avec des travailleurs qui peuplent les TER en panne et les rocades des grandes villes, et une majorité dans les nouvelles générations qui n’a aucune perspective d'avoir, un jour, son propre toit.
Cette situation n’est pas une fatalité. Vous pouvez compter sur moi pour faire ce qui sera nécessaire pour changer la donne.